Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/447

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Que ne m’est-il permis de peindre le retour d’Emile auprès de Sophie & la fin de leurs amours, ou plutôt le commencement de l’amour conjugal qui les unit ! amour fondé sur l’estime qui dure autant que la vie, sur les vertus qui ne s’effacent point avec la beauté, sur les convenances des caractères qui rendent le commerce aimable & prolongent dans la vieillesse le charme de la première union. Mais tous ces détails pourroient plaire sans être utiles ; & jusqu’ici je me suis permis de détails agréables que ceux dont j’ai cru voir l’utilité. Quitterois je cette règle à la fin de ma tâche ? Non ; je sens aussi bien que ma plume est lassée. Trop faible pour des travaux de si longue haleine, j’abandonnerois celui-ci s’il étoit moins avancé ; pour ne pas le laisser imparfait, il est temps que j’achève.

Enfin je vois naître le plus charmant des jours d’Emile, & le plus heureux des miens ; je vois couronner mes soins, & je commence d’en goûter le fruit. Le digne couple s’unit d’une chaîne indissoluble ; leur bouche prononce & leur cœur confirme des serments qui ne seront point vains : ils sont époux. En revenant du temple, ils se laissent conduire ; ils ne savent où ils sont, où ils vont, ce qu’on fait autour d’eux. Ils n’entendent point, ils ne répondent que des mots confus, leurs yeux troublés ne voient plus rien. Ô délire ! ô faiblesse humaine ! le sentiment du bonheur écrase l’homme, il n’est pas assez fort pour le supporter.

Il y a bien peu de gens qui sachent, un jour de mariage, prendre un ton convenable avec les nouveaux époux. La morne décence des uns & le propos léger des autres me semblent