Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/474

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égale, devint constamment triste & sombre. Enfermée depuis le matin jusqu’au soir dans sa chambre, sans parler, sans pleurer, sans se soucier de personne, elle ne pouvoit souffrir qu’on l’interrompît. Son amie elle-même lui devint insupportable ; elle le lui dit & la reçut mal sans la rebuter : elle me pria plus d’une fois de la délivrer d’elle. Je lui fis la guerre de ce caprice dont j’accusois un peu de jalousie ; je le lui dis même un jour en plaisantant. Non, Monsieur, je ne suis point jalouse, me dit-elle d’un air froid & résolu ; mais j’ai cette femme en horreur : je ne vous demande qu’une grace ; c’est que je ne la revoye jamais. Frappé de ces mots, je voulus savoir la raison de sa haine : elle refusa de répondre. Elle avoit déjà fermé sa porte au mari ; je fus obligé de la fermer à la femme, & nous ne les vîmes plus.

Cependant sa tristesse continuoit & devenoit inquiétante. Je commençai de m’en alarmer ; mais comment en savoir la cause qu’elle s’obstinoit à taire ? Ce n’étoit pas à cette ame fiere qu’on en pouvoit imposer par l’autorité : nous avions cessé depuis si long-tems d’être les confidens l’un de l’autre, que je fus peu surpris qu’elle dédaignât de m’ouvrir son cœur ; il faloit mériter cette confiance, & soit que sa couchante mélancolie eût réchauffé le mien, soit qu’il sût moins guéri qu’il n’avoit cru l’être, je sentis qu’il m’en coûtoit peu pour lui rendre des soins avec lesquels j’espérois vaincre enfin son silence.

Je ne la quittois plus : mais j’eus beau revenir à elle, & marquer ce retour par les plus tendres empressemens, je vis avec douleur que je n’avançois rien. Je voulus rétablir les