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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/70

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dans le fond, ne menent à rien. Je vous ai déjà dit que je ne voulois pas philosopher avec vous, mais vous aider à consulter votre cœur. Quand tous les Philosophes prouveroient que j’ai tort, si vous sentez que j’ai raison, je n’en veux pas davantage.

Il ne faut pour cela que vous faire distinguer nos idées acquises de nos sentimens naturels ; car nous sentons avant de connoître, & comme nous n’apprenons point à vouloir notre bien & à fuir notre mal, mais que nous tenons cette volonté de la Nature, de même l’amour du bon & la haine du mauvais nous sont aussi naturels que l’amour de nous-mêmes. Les actes de la conscience ne sont pas des jugemens, mais des sentimens ; quoique toutes nos idées nous viennent du dehors, les sentimens qui les apprécient sont au dedans de nous, & c’est par eux seuls que nous connoissons la convenance ou disconvenance qui existe entre nous & les choses que nous devons rechercher ou fuir.

Exister pour nous, c’est sentir ; notre sensibilité est incontestablement antérieure à notre intelligence, & nous avons eu des sentimens avant des idées[1]. Quelle que soit la cause de notre être, elle a pourvu à notre conser-

  1. (*) À certains égards les idées sont des sentimens & les sentimens sont des idées. Les deux noms conviennent à toute perception qui nous occupe & de son objet, & de nous-mêmes qui en sommes affectés : il n’y a que l’ordre de cette affection qui détermine le nom qui lui convient. Lorsque premierement occupés de l’objet nous ne pensons à nous que par réflexion, c’est une idée ; au contraire quand l’impression reçue excite notre premiere attention, & que nous ne pensons que par réflexion à l’objet qui la cause, c’est un sentiment.