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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/75

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à tous les cercles concentriques, qui sont les créatures. Si la Divinité n’est pas, il n’y a que le méchant qui raisonne, le bon n’est qu’un insensé.

Ô mon enfant, puissiez-vous sentir un jour de quel poids on est soulagé, quand, après avoir épuisé la vanité des opinions humaines & goûté l’amertume des passions, on trouve enfin si près de soi la route de la sagesse, le prix des travaux de cette vie, & la source du bonheur dont on a désespéré. Tous les devoirs de la loi naturelle, presque effacés de mon cœur par l’injustice des hommes, s’y retracent au nom de l’éternelle justice, qui me les impose & qui me les voit remplir. Je ne sens plus en moi que l’ouvrage & l’instrument du grand Être qui veut le bien, qui le fait, qui fera le mien par le concours de mes volontés aux siennes, & par le bon usage de ma liberté : j’acquiesce à l’ordre qu’il établit, sûr de jouir moi-même un jour de cet ordre & d’y trouver ma félicité ; car quelle félicité plus douce que de se sentir ordonné dans un systême où tout est bien ? En proie à la douleur, je la supporte avec patience, en songeant qu’elle est passagere & qu’elle vient d’un corps qui n’est point à moi. Si je fais une bonne action sans témoin, je sais qu’elle est vue, & je prends acte pour l’autre vie de ma conduite en celle-ci. En souffrant une injustice, je me dis, l’Être juste, qui régit tout, saura bien m’en dédommager ; les besoins de mon corps, les miseres de ma vie me rendent l’idée de la mort plus supportable. Ce seront autant de liens de moins à rompre, quand il faudra tout quitter.

Pourquoi mon ame est-elle soumise à mes sens & enchaî-