Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/77

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dépravation vient de leur volonté ; qu’à force de vouloir céder à leurs tentations ils leur cèdent enfin malgré eux & les rendent irrésistibles ? Sans doute il ne dépend plus d’eux de n’être pas méchants & faibles, mais il dépendit d’eux de ne le pas il devenir. Ô que nous resterions aisément maîtres de nous et de nos passions, même durant cette vie, si, lorsque nos habitudes ne sont point encore acquises, lorsque notre esprit commence à s’ouvrir, nous savions l’occuper des objets qu’il doit connoître pour apprécier ceux qu’il ne connaît pas ; si nous voulions sincèrement nous éclairer, non pour briller aux yeux des autres, mais pour être bons & sages selon notre nature, pour nous rendre heureux en pratiquant nos devoirs ! Cette étude nous paraît ennuyeuse & pénible, parce que nous n’y songeons que déjà corrompus par le vice, déjà livrés à nos passions. Nous fixons nos jugements & notre estimé avant de connoître le bien et. le mal ; et puis, rapportant tout à cette fausse mesure, nous ne donnons à rien sa juste valeur.

Il est un âge où le cœur, libre encore, mais ardent, inquiet, avide du bonheur qu’il ne connaît pas, le cherche avec une curieuse incertitude, &, trompé par les sens, se fixe enfin sur sa vaine image, & croit le trouver où il n’est point. Ces illusions ont duré trop longtemps pour moi. Hélas ! je les ai trop tard connues, & n’ai pu tout à fait les détruire : elles dureront autant que ce corps mortel qui les cause. Au moins elles ont beau me séduire, elles ne m’abusent pas ; je les connois pour ce qu’elles sont ; en les suivant je les méprise ; loin d’y voir l’objet de mon