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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/99

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que de voyager parmi nous. Dans quel pays n’y a-t-il pas des gens sensés, des gens de bonne foi, d’honnêtes gens amis de la vérité, qui, pour la professer, ne cherchent qu’à la connoître ? Cependant chacun la voit dans son culte, & trouve absurdes les cultes des autres Nations ; donc ces cultes étrangers ne sont pas si extravagans qu’ils nous semblent, ou la raison que nous trouvons dans les nôtres ne prouve rien.

Nous avons trois principales religions en Europe. L’une admet une seule révélation, l’autre en admet deux, l’autre en admet trois. Chacune déteste, maudit les autres, les accuse d’aveuglement, d’endurcissement, d’opiniâtreté, de mensonge. Quel homme impartial osera juger entre elles, s’il n’a premierement bien pesé leurs preuves, bien écouté leurs raisons ? Celle qui n’admet qu’une révélation est la plus ancienne, & paroit la plus sûre ; celle qui en admet trois est la plus moderne, & paroit la plus conséquente ; celle qui en admet deux & rejette la troisieme peut bien être la meilleure, mais elle a certainement tous les préjugés contre elle ; l’inconséquence saute aux yeux.

Dans les trois révélations, les livres sacrés sont écrits en des langues inconnues aux peuples qui les suivent. Les Juifs n’entendent plus l’Hébreu, les Chrétiens n’entendent ni l’Hébreu ni le Grec, les Turcs ni les Persans n’entendent point l’Arabe, & les Arabes modernes, eux-mêmes, ne parlent plus la langue de Mahomet. Ne voilà-t-il pas une maniere bien simple d’instruire les hommes, de leur parler toujours une langue qu’ils n’entendent point ? On