Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t6.djvu/210

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ou si tu me permets le triage ? Quand tu m’auras décidé ce point, nous verrons après.

Remarquez bien, Monsieur, qu’en supposant tout au plus quelque amplification dans les circonstances, je n’établis aucun doute sur le fond de tous les faits. C’est ce que j’ai déjà dit, & qu’il n’est pas superflu de redire. Jésus, éclairé de l’esprit de Dieu, avoit des lumieres si supérieures à celles de ses Disciples qu’il n’est pas étonnant qu’il ait opéré des multitudes de choses extraordinaires où l’ignorance des spectateurs a vu le prodige qui n’y étoit pas. À quel point, en vertu de ces lumieres, pouvoit-il agir par des voies naturelles, inconnues à eux & à nous ?*

[* Nos hommes de Dieu veulent à toute force que j’aie fait de Jésus un Imposteur. Ils s’échauffent pour répondre à cette indigne accusation, afin qu’on pense que je l’ai faite ; ils la supposent avec un air de certitude ; ils y insistent, ils y reviennent affectueusement. Ah ! si ces doux Chrétiens pouvoient m’arracher à la fin quelque blasphême ! quel triomphe, quel contentement, quelle édification pour leurs charitables ames ! Avec quelle sainte joie ils apporteroient des tisons allumés au feu de leur zele pour embraser mon bûcher !] Voilà ce que nous ne savons point, & ce que nous ne pouvons savoir. Les spectateurs des choses merveilleuses sont naturellement portés à les décrire avec exagération. Là-dessus on peut, de très-bonne foi, s’abuser soi-même en abusant les autres : peu qu’un fait soit au-dessus de nos lumieres, nous le supposons au-dessus de la raison, & l’esprit voit enfin du prodige où le cœur nous fait désirer fortement d’en voir.

Les miracles sont, comme j’ai dit, les preuves des simples, pour qui les Loix de la nature forment un cercle très