Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t6.djvu/631

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Ainsi sont illusion les noms & les mots à ceux qui, sensibles au rhythme & à l’harmonie, se laissent charmer à l’art enchanteur du Poete, & se livrent à la séduction par l’attrait du plaisir ; en sorte qu’ils prennent les images d’objets qui ne sont connus, ni d’eux, ni des auteurs, pour les objets mêmes, & craignent d’être détrompés d’une erreur qui les flatte, soit en donnant le change à leur ignorance, soit par les sensations agréables dont cette erreur est accompagnée.

En effet, ôter au plus brillant de ces tableaux le charme des vers & les ornemens étrangers qui l’embellissent ; dépouillez-le du coloris de la Poésie ou du style, & n’y laissez que le dessein, vous aurez peine à le reconnoître : ou, s’il est reconnoissable, il ne plaira plus ; semblable à ces enfans plutôt jolis que beaux, qui, parés de leur seule fleur de jeunesse, perdent avec elle toutes leurs graces, sans avoir rien perdu de leurs traits.

Non-seulement l’imitateur ou l’auteur du simulacre ne connoît que l’apparence de la chose imitée, mais la véritable intelligence de cette chose n’appartient pas même à celui qui l’a faite. Je vois dans ce tableau des chevaux attelés au char d’Hector ; ces chevaux ont des harnois, des mors, des rênes ; l’Orsevre, le Forgeron ; le Sellier ont fait ces diverses choses, le Peintre les a représentées ; mais, ni l’Ouvrier qui les fait, ni le Peintre qui les dessine ne savent ce qu’elles doivent être : c’est à l’Ecuyer ou au Conducteur qui s’en sert à déterminer leur forme sur leur usage ; c’est à lui seul de juger si elles sont bien ou mal, & d’en corriger les