Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t7.djvu/16

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de médiocres. Tous deux sont fermes & inébranlables, mais de différentes manieres & en différentes choses ; l’un ne cede jamais que par raison, l’autre jamais que par générosité ; les foiblesses sont aussi peu connues du Sage que les lâchetés le sont peu du Héros, & la violence n’a pas plus d’empire sur l’ame de celui-ci que les passions sur, celle de l’autre.

Il y a donc plus de solidité dans le caractere du Sage & plus d’éclat dans celui du Héros ; & la préférence se trouveroit décidée en faveur du premier, en se contentant de les considérer ainsi en eux-mêmes. Mais si nous les envisageons par leur rapport avec l’intérêt de la Société, de nouvelles réflexions produiront bientôt d’autres jugemens & rendront aux qualités Héroiques cette prééminence qui leur est due, & qui leur a été accordée dans tous les siecles, d’un commun consentement.

En effet, le soin de sa propre félicité fait toute l’occupation du Sage, & c’en est bien assez sans doute pour remplir la tâche d’un homme ordinaire. Les vues du vrai Héros s’étendent plus loin ; le bonheur des hommes est son objets c’est à ce sublime travail qu’il consacre la grande ame qu’il a reçue du Ciel. Les Philosophes, je l’avoue, prétendent enseigner aux hommes l’art d’être heureux, & comme, s’ils devoient s’attendre à former des nations de Sages, ils prêchent aux Peuples une félicité chimérique qu’ils n’ont pas eux-mêmes, & dont ceux-ci ne prennent jamais ni l’idée ni le goût. Socrate vit & déplora les malheurs de sa Patrie ; mais c’est à Trasibule qu’il étoit réservé