Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t7.djvu/21

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crimes ? Non, jamais les Catilinas ni les Cromwels n’eussent rendu leurs noms célebres ; jamais l’un n’eût tente la ruine de sa Patrie, ni l’autre asservi la sienne, si la plus inébranlable intrépidité n’eût fait le fond de leur caractere. Avec quelques vertus de plus, me direz-vous, ils eussent été des Héros ; dites plutôt qu’avec quelques crimes de moins ils eussent été des hommes.

Je ne passerai point ici en revue ces guerriers funestes, la terreur & le fléau du genre-humain, ces hommes avides de sang & de conquêtes, dont on ne peut prononcer les noms, sans frémir, des Marius, des Totilas, des Tamerlans. Je ne me prévaudrai point de la juste horreur qu’ils ont inspirée aux nations. Et qu’est-il besoin de recourir à des monstres pour établir que la bravoure même la plus généreuse est plus suspecte dans son principe, plus journaliere dans ses exemples, plus funeste dans ses effets qu’il n’appartient à la constance, à la solidité & aux avantages de la vertu. Combien d’actions mémorables ont été inspirées par la honte ou par la vanité ? Combien d’exploits, exécutés à la sage du Soleil, sous les yeux des chefs & en présence de toute une armée, ont été démentis dans le silence & l’obscurité de la nuit ? Tel est brave au milieu de ses compagnons, qui ne seroit qu’un lâche, abandonné à lui-même ; tel a la tête d’un Général qui n’eut jamais le cœur d’un Soldat ; tel affronte sur une breche la mort & le fer de son ennemi, qui dans le secret de sa maison ne peut soutenir la vue du fer salutaire d’un Chirurgien.

Un tel étoit brave un tel jour, disoient les Espagnols du tems de Charles-Quint, & ces gens-là se connoissoient en