Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t7.djvu/279

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avoit enrichis auſſi pauvres que ceux qu’il avoit dépouillés. En ce même tems Taurus & Naſon Tribuns prétoriens, Pacenſis Tribun des milices bourgeoiſes & Fronto Tribun du guet ayant été caſſés, cet exemple ſervit moins à contenir les Officiers qu’à les effrayer, & leur fit craindre qu’étant tous ſuſpects on ne voulût les chaſſer l’un après l’autre.

Cependant Othon, qui n’attendoit rien d’un gouvernement tranquille, ne cherchoit que de nouveaux troubles. Son indigence, qui eût été à charge même à des particuliers, ſon luxe qui l’eût été, même à des Princes, ſon reſſentiment contre Galba, ſa haine pour Piſon, tout l’excitoit à remuer. Il ſe forgeoit même des craintes pour irriter ſes deſirs. N’avoit-il pas été ſuſpect à Néron lui-même ? Faloit-il attendre encore l’honneur d’un ſecond exil en Luſitanie ou ailleurs ? Les ſouverains ne voient-ils pas toujours avec défiance & de mauvais œil ceux qui peuvent leur ſuccéder ? Si cette idée lui avoit nui près d’un vieux Prince, combien plus lui nuiroit-elle auprès d’un jeune homme naturellement cruel, aigri par un long exil ! Que s’ils étoient tentés de ſe défaire de lui, pourquoi ne les préviendroit-il pas, tandis que Galba chanceloit encore, & avant que Piſon fût affermi ? Les tems de criſe sont ceux où conviennent les grands efforts, & c’eſt une erreur de temporiſer quand les délais ſont plus dangereux que l’audace. Tous les hommes meurent également ; c’eſt la loi de la nature ; mais la poſtérité les diſtingue par la gloire ou l’oubli. Que ſi le même ſort attend l’innocent & le coupable, il coupable, il eſt plus digne d’un homme de courage de ne pas périr ſans ſujet.