Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t8.djvu/448

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mouvement je vois changer la face de la terre & décider la vocation du genre-humain : j'entends au loin les cris de joie d'une multitude insensée ; je vois édifier les Palais & les Villes ; le vois naître les arts, les loix, le commerce ; je vois les peuples se former, s'étendre, se dissoudre, se succéder comme les flots de la mer : je vois les hommes rassemblés sur quelques points de leur demeure pour s'y dévorer mutuellement, faire un affreux désert du reste du monde, digne monument de l'union sociale & de l'utilité des arts.

La terre nourrit les hommes ; mais quand les premiers besoins les ont dispersés, d'autres besoins les rassemblent, & c'est alors seulement qu'ils parlent & qu'ils font parler d'eux. Pour ne pas me trouver en contradiction avec moi-même, il faut me laisser le tems de m'expliquer.

Si l'on cherche en quels lieux sont nés les peres du genre-humain, d'où sortirent les premieres colonies, d'où vinrent les premieres émigrations, vous ne nommerez pas les heureux climats de l'Asie-mineure, ni de la Sicile, ni de l'Afrique, pas même de l'Egypte ; vous nommerez les sables de la Chaldée, les rochers de la Phénicie. Vous trouverez la même chose dans tous les tems. La Chine a beau se peupler de Chinois, elle se peuple aussi de Tartares ; les Scythes ont inondé l'Europe & l'Asie ; les montagnes de Suisse versent actuellement dans nos régions fertiles une colonie perpétuelle qui promet de ne point tarir.

Il est naturel, dit-on, que les habitans d'un pays ingrat le quittent pour en occuper un meilleur. Fort bien ; mais pourquoi ce meilleur pays, au lieu de fourmiller de ses propres