Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t13.djvu/74

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que des peuples aillent encore massacrer d’autres peuples sous le manteau de la religion ; qu’on fasse les plus grands maux avec la même tranquillité de conscience, qu’on éprouve à faire les plus grands biens : telles & plus déplorables encore seront les suites de cette ignorance où vous voulez rentrer.

Non, grand Roi, l’Académie de Dijon n’est point censée adopter tous les sentimens de l’Auteur qu’elle a couronné. Elle ne pense point, comme lui, que les travaux des plus éclairés de nos Savans & de nos meilleurs citoyens ne sont presque d’aucune utilité. Elle ne confond point comme lui les découvertes véritablement utiles au genre-humain, avec celles dont on n’a pu encore tirer des services, faute de connoître tous leurs rapports & l’ensemble des parties de la nature ; mais elle pense, ainsi que toutes les Académies de l’Europe, qu’il est important d’étendre de toutes parts les branches notre savoir, d’en creuser les analogies, d’en suivre toutes les ramifications. Elle sait que telle connoissance qui paroît stérile pendant un tems, peut cesser de l’être par des applications dues au génie, à des recherches laborieuses, peut-être même au hasard. Elle sait que pour élever un édifice, on rassemblé des matériaux de toute especes : ces pieces brutes, amas informe, ont leur destination ; l’art les dégrossit & les arrange : il en forme des chefs-d’œuvre d’Architecture & de bon goût.

On peut dire qu’il en est, en quelque sorte, de certaines vérités détachées du corps de celles dont l’utilité est reconnue, comme de ces glaçons errans au gré du hasard sur la surface des fleuves ; ils se réunissent, ils se fortifient mutuellement & servent a les traverser.