Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t16.djvu/251

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de savoir jamais rien cacher de ce qui s’y passe, ne lui laissa pas long-temps ignorer mes soupçons ; elle en voulut rire ; cet expédient ne réussit pas ; des transports de rage en auroient été l’effet : elle changea de ton. Sa compatissante douceur fut invincible ; elle me fit des reproches qui me pénétrèrent ; elle me témoigna sur mes injustes craintes des inquiétudes dont j’abusai. J’exigeai des preuves qu’elle ne se moquoit pas de moi. Elle vit qu’il n’y avoit nul moyen de me rassurer. Je devins pressant, le pas étoit délicat. Il est étonnant, il est unique peut-être qu’une femme ayant pu venir jusqu’à marchander, s’en soit tirée à si bon compte. Elle ne me refusa rien de ce que la plus tendre amitié pouvoit accorder. Elle ne m’accorda rien qui pût la rendre infidèle, & j’eus l’humiliation de voir que l’embrasement dont ses légères faveurs allumoient mes sens n’en porta jamais aux siens la moindre étincelle.

J’ai dit quelque part qu’il ne faut rien accorder aux sens quand on veut leur refuser quelque chose. Pour connoître combien cette maxime se trouva fausse avec Mde. d’H[...], & combien elle eut raison de compter sur elle-même, il faudroit entrer dans les détails de nos longs & fréquens tête-à-têtes, & les suivre dans toute leur vivacité durant quatre mais que nous passâmes ensemble, dans une intimité presque sans exemple entre deux amis de différens sexes, qui se renferment dans les bornes dont nous ne sortîmes jamais. Ah ! si j’avois tardé si long-temps à sentir le véritable amour, qu’alors mon cœur & mes sens lui payèrent bien l’arrérage ! & quels sont donc les transports qu’on doit