Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t2.djvu/168

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& à ton arrivée je rougis si prodigieusement, que ma cousine, qui veilloit sur moi, fut contrainte d’avancer son visage & son éventail, comme pour me parler à l’oreille. Je tremblai que cela même ne fît un mauvois effet, & qu’on cherchât du mystere à cette chuchoterie. En un mot, je trouvois par-tout de nouveaux sujets d’alarmes, & je ne sentis jamais mieux combien une conscience coupable arme contre nous de témoins qui n’y songent pas.

Claire prétendit remarquer que tu ne faisois pas une meilleure figure : tu lui paroissois embarrassé de ta contenance, inquiet de ce que tu devois faire, n’osant aller ni venir, ni m’aborder, ni t’éloigner, & promenant tes regards à la ronde pour avoir, disoit-elle, occasion de les tourner sur nous. Un peu remise de mon agitation, je crus m’appercevoir moi-même de la tienne, jusqu’à ce que la jeune Madame Belon t’ayant adressé la parole, tu t’assis en causant avec elle, & devins plus calme à ses côtés.

Je sens, mon ami, que cette maniere de vivre, qui donne tant de contrainte & si peu de plaisir, n’est pas bonne pour nous ; nous aimons trop pour pouvoir nous gêner ainsi. Ces rendez-vous publics ne conviennent qu’à des gens qui, sans connoître l’amour, ne laissent pas d’être bien ensemble, ou qui peuvent se passer du mystere : les inquiétudes sont trop vives de ma part, les indiscrétions trop dangereuses de la tienne :, & je ne puis pas tenir une Madame Belon toujours à mes côtés, pour faire diversion au besoin.

Reprenons, reprenons cette vie solitaire & paisible, dont je toi tiré si mal à propos. C’est elle qui a fait naître & nourri