Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t2.djvu/209

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aucune harmonie sont long-tems à l’épreuve de l’ennui. Que l’accent du sentiment anime les chants les plus simples, ils seront intéressans. Au contraire, une mélodie qui ne parle point chante toujours mal, & la seule harmonie n’a jamais rien sçu dire au cœur.

C’est en ceci, continuoit-il, que consiste l’erreur des François sur les forces de la musique. N’ayant & ne pouvant avoir une mélodie à eux dans une langue qui n’a point d’accent, sur une poésie maniérée qui ne connut jamais la nature, ils n’imaginent d’effets que ceux de l’harmonie & des éclats de voix qui ne rendent pas les sons plus mélodieux mais plus bruyans & ils sont si malheureux dans leurs prétentions, que cette harmonie même qu’ils cherchent leur échappe ; à force de la vouloir charger ils n’y mettent plus de choix, ils ne connoissent plus les choses d’effet, ils ne font plus que du remplissage, ils se gâtent l’oreille, & ne sont plus sensibles qu’au bruit ; en sorte que la plus belle voix pour eux n’est que celle qui chante le plus fort. Aussi faute d’un genre propre n’ont-ils jamais fait que suivre pesamment & de loin nos modeles, & depuis leur célebre Lulli ou plutôt le nôtre, qui ne fit qu’imiter les Opéra dont l’Italie étoit déjà pleine de son tems, on les a toujours vus, à la piste de trente ou quarante ans copier, gâter nos vieux Auteurs, & faire à peu près de notre musique comme les autres peuples font de leurs modes. Quand ils se vantent de leurs chansons, c’est leur propre condamnation qu’ils prononcent ; s’ils savoient chanter des sentimens ils ne chanteroient pas de l’esprit, mais parce que leur musique