Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t2.djvu/313

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de la délibération m’épouvante & son effet m’attriste. Quelque sort que tu préferes, il sera toujours peu digne de toi ; & ne pouvant ni te montrer un parti qui te convienne, ni te conduire au vrai bonheur, je n’ai pas le courage de décider de ta destinée. Voici le premier refus que tu reçus jamais de ton amie ; & je sens bien, par ce qu’il me coûte, que ce sera le dernier : mais je te trahirois en voulant te gouverner dans un cas où la raison même s’impose silence & où la seule regle à suivre est d’écouter ton propre penchant.

Ne sois pas injuste envers moi, ma douce amie & ne me juge point avant le tems. Je sais qu’il est des amitiés circonspectes qui, craignant de se compromettre, refusent des conseils dans les occasions difficiles & dont la réserve augmente avec le péril des amis. Ah ! tu vas connoître si ce cœur qui t’aime connoît ces timides précautions ! Souffre qu’au lieu de te parler de tes affaires, je te parle un instant des miennes.

N’as-tu jamais remarqué, mon ange, à quel point tout ce qui t’approche s’attache à moi ? Qu’un pere & une mere chérissent une fille unique, il n’y a pas, je le sais, de quoi s’en fort étonner ; qu’un jeune homme ardent s’enflamme, pour un objet aimable, cela n’est pas plus extraordinaire. Mais qu’à l’âge mûr, un homme aussi froid que M. de Wolmar s’attendrisse, en te voyant, pour la premiere fois de sa vie ; que toute une famille t’idolâtre unanimement ; que tu sois chère à mon pere, cet homme si peu sensible, autant & plus peut-être que ses propres enfants ; que les amis, les connoissances, les domestiques, les voisins & toute une ville