Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t2.djvu/328

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& de t’emporter comme un furieux ? N’est-ce pas assez du mépris que j’ai mérité pour toi, sans l’augmenter en te rendant méprisable toi-même & sans m’accabler à la fois de mon opprobre & du tien ? Rappelle donc ta fermeté, sache supporter l’infortune & sois homme. Sois encore, si j’ose le dire, l’amant que Julie a choisi. Ah ! si je ne suis plus digne d’animer ton courage, souviens-toi du moins de ce que je fus un jour ; mérite que pour toi j’aie cessé de l’être ; ne me déshonore pas deux fois.

Non, mon respectable ami, ce n’est point toi que je reconnois dans cette lettre efféminée que je veux à jamais oublier & que je tiens déjà désavouée par toi-même. J’espere, tout avilie, toute confuse que je suis, j’ose espérer que mon souvenir n’inspire point des sentimens si bas, que mon image regne encore avec plus de gloire dans un cœur que je pus enflammer & que je n’aurai point à me reprocher, avec ma foiblesse, la lâcheté de celui qui l’a causée.

Heureux dans ta disgrâce, tu trouves le plus précieux dédommagement qui soit connu des âmes sensibles. Le Ciel dans ton malheur te donne un ami & te laisse à douter si ce qu’il te rend ne vaut pas mieux que ce qu’il t’ôte. Admire & chéris cet homme trop généreux qui daigne aux dépens de son repos prendre soin de tes jours & de ta raison. Que tu serois ému si tu savois tout ce qu’il a voulu faire pour toi ! Mais que sert d’animer ta reconnaissance en aigrissant tes douleurs ? Tu n’as pas besoin de savoir à quel pointil t’aime pour connoître tout ce qu’il vaut ; & tu ne peux l’estimer comme il le mérite, sans l’aimer comme tu le dois.