Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t2.djvu/481

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encore ; mais d’autres soins vous appellent, d’autres devoirs vous occupent. Mes plaintes que vous écoutiez avec intérêt sont maintenant indiscretes. Julie ! Julie elle-même se décourage & m’abandonne. Les tristes remords ont chassé l’amour. Tout est changé pour moi ; mon cœur seul est toujours le même, & mon sort en est plus affreux.

Mais qu’importe ce que je suis & ce que je dois être ? Julie souffre, est-il tems de songer à moi ? Ah ! ce sont ses peines qui rendent les miennes plus ameres. Oui, j’aimerois mieux qu’elle cessât de m’aimer & qu’elle fût heureuse… Cesser de m’aimer !…l’espere-t-elle ?… Jamais, jamais. Elle a beau me défendre de la voir & de lui écrire. Ce n’est pas le tourment qu’elle s’ôte ; hélas ! c’est le consolateur. La perte d’une tendre mere la doit-elle priver d’un plus tendre ami ? Croit-elle soulager ses maux en les multipliant ? Ô amour ! est-ce à tes dépens qu’on peut venger la nature ?

Non, non ; c’est en vain qu’elle prétend m’oublier. Son tendre cœur pourra-t-il se séparer du mien ? Ne le retiens-je pas en dépit d’elle ? Oublie-t-on des sentimens tels que nous les avons éprouvés, & peut-on s’en souvenir sans les éprouver encore ? L’amour vainqueur fit le malheur de sa vie ; l’amour vaincu ne la rendra que plus à plaindre. Elle passera ses jours dans la douleur, tourmentée à la fois de vains regrets & de vains désirs, sans pouvoir jamais contenter ni l’amour ni la vertu.

Ne croyez pas pourtant qu’en plaignant ses erreurs je me dispense de les respecter. Après tant de sacrifices, il est trop tard pour apprendre à désobéir. Puisqu’elle commande, il