Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t2.djvu/518

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Vous partagiez mon égarement : votre lettre me fit trembler. Le péril étoit doublé : pour me garantir de vous, & de moi il falut vous éloigner. Ce fut le dernier effort d’une vertu mourante. En fuyant vous achevâtes de vaincre ; & sitôt que je ne vous vis plus, ma langueur m’ôta le peu de force qui me restoit pour vous résister.

Mon pere, en quittant le service, avoit amené chez lui M. de Wolmar : la vie qu’il lui devoit, & une liaison de vingt ans, lui rendoient cet ami si cher, qu’il ne pouvoit se séparer de lui. M. de Wolmar avançoit en âge ; & quoique riche, & de grande naissance, il ne trouvoit point de femme qui lui convînt. Mon pere lui avoit parlé de sa fille en homme qui souhaitoit se faire un gendre de son ami ; il fut question de la voir, & c’est dans ce dessein qu’ils firent le voyage ensemble. Mon destin voulut que je plusse à M. de Wolmar, qu in’avoit jamais rien aimé. Ils se donnerent secretement leur parole ; & M. de Wolmar, ayant beaucoup d’affaires à régler dans une cour du Nord où étoient sa famille, & sa fortune, il en demanda le temps, & partit sur cet engagement mutuel. Apres son départ, mon pere nous déclara à ma mere, & à moi qu’il me l’avoit destiné pour époux, & m’ordonna d’un ton qui ne laissoit point de réplique à ma timidité de me disposer à recevoir sa main. Ma mere, qui n’avoit que trop remarqué le penchant de mon cœur, & qui se sentoit pour vous une inclination naturelle, essaya plusieurs fois d’ébranler cette résolution ; sans oser vous proposer, elle parloit de maniere à donner à mon pere de la considération pour vous, & le désir de vous connoître ; mais la qualité qui vous manquoit