Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t2.djvu/532

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leurs cœurs s’entendoient ; ils croyoient souffrir ; & ils étoient heureux. À force de s’entendre, ils se parlerent ; mais, contens de savoir triompher d’eux-mêmes, & de s’en rendre mutuellement l’honorable témoignage, ils passerent une autre année dans une réserve non moins sévere ; ils se disoient leurs peines, & ils étoient heureux. Ces longs combats furent mal soutenus ; un instant de foiblesse les égara ; ils s’oublierent dans les plaisirs ; mais s’ils cesserent d’être chastes, au moins ils étoient fideles ; au moins le Ciel, & la nature autorisoient les nœuds qu’ils avoient formés ; au moins la vertu leur étoit toujours chére ; ils l’aimoient encore, & la savoient encore honorer ; ils s’étoient moins corrompus qu’avilis. Moins dignes d’être heureux, ils l’étoient pourtant encore.

Que font maintenant ces amans si tendres, qui brûloient d’une flamme si pure, qui sentoient si bien le prix de l’honnêteté ? Qui l’apprendra sans gémir sur eux ? Les voilà livrés au crime. L’idée même de souiller le lit conjugal ne leur fait plus d’horreur… ils méditent des adulteres ! Quoi ! sont-ils bien les mêmes ? Leurs âmes n’ont-elles point changé ? Comment cette ravissante image que le méchant n’aperçut jamais peut-elles’effacer des cœurs où elle a brillé ? Comment l’attroit de la vertu ne dégoûte-t-il pas pour toujours du vice ceux qu il’ont une fois connue ? Combien de siecles ont pu produire ce changement étrange ? Quelle longueur de tems put détruire un si charmant souvenir, & faire perdre le vrai sentiment du bonheur à qui l’a pu savourer une fois ? Ah ! si le premier désordre est pénible, & lent, que tous les autres sont prompts, & faciles ! Prestige des passions, tu