Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t2.djvu/554

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confidence, la sagesse, & la raison la défendent ; car c’est risquer sans nécessité ce qu’il y a de plus précieux dans le mariage, l’attachement d’un époux, la mutuelle confiance, la paix de la maison. Avez-vous assez réfléchi sur une pareille démarche ? Connoissez-vous assez votre mari pour être sûre de l’effet qu’elle produira sur lui ? Savez-vous combien il y a d’hommes au monde auxquels il n’en faudroit pas davantage pour concevoir une jalousie effrénée, un mépris invincible, & peut-être attenter aux jours d’une femme ? Il faut pour ce délicat examen avoir égard au temps, aux lieux, aux caracteres. Dans le pays où je suis, de pareilles confidences sont sans aucun danger, & ceux qui traitent si légerement la foi conjugale ne sont pas gens à faire une si grande affaire des fautes qui précéderent l’engagement. Sans parler des raisons qui rendent quelquefois ces aveux indispensables, & qui n’ont pas eu lieu pour vous, je connois des femmes assez médiocrement estimables qui se sont fait à peu de risques un mérite de cette sincérité, peut-être pour obtenir à ce prix une confiance dont elles puissent abuser au besoin. Mais dans des lieux où la sainteté du mariage est plus respectée, dans des lieux où ce lien sacré forme une union solide, & où les maris ont un véritable attachement pour leurs femmes, ils leur demandent un compte plus sévere d’elles-mêmes ; ils veulent que leurs cœurs n’aient connu que pour eux un sentiment tendre ; usurpant un droit qu’ils n’ont pas, ils exigent qu’elles soient à eux seuls avant de leur appartenir, & ne pardonnent pas plus l’abus de la liberté qu’une infidélité réelle.

Croyez-moi, vertueuse Julie, défiez-vous d’un zele sans fruit