Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t6.djvu/433

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mis ces hommes si nécessaires au progrès & au soutien des arts, est certainement une des principales causes qui contribuent au déréglement que nous leur reprochons ; ils cherchent à se dédommager par les plaisirs, de l’estime que leur état ne peut obtenir. Parmi nous, un Comédien qui a des mœurs est doublement respectable ; mais à peine lui en fait-on gré. Le Traitant qui insulte à l’indigence publique & qui s’en nourrit, le Courtisan qui rampe & qui ne paye point ses dettes : voilà l’espèce d’hommes que nous honorons le plus. Si les Comédiens étoient non-seulement soufferts à Geneve, mais contenus d’abord par des réglemens sages, protégés ensuite & même considérés des qu’ils en seroient dignes, enfin absolument placés sur la même ligne que les autres Citoyens, cette ville auroit bientôt l’avantage de posséder ce qu’on croit si rare & qui ne l’est que par notre faute : une troupe de Comédiens estimables. Ajoutons que cette troupe deviendroit bientôt la meilleure de l’Europe ; plusieurs personnes, pleines de goût & de dispositions pour le théâtre, & qui craignent de se déshonorer parmi nous en s’y livrant, accourroient à Geneve, pour cultiver non-seulement sans honte, mais même avec estime un talent si agréable & si peu commun. Le séjour de cette