Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t7.djvu/122

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parce qu’aucun de tous ces gens-là n’existoit de son tems. Mais ce léger anacronisme n’est point messéant à mon faire : il a mieux employé sa vie qu’a vérifier des dates, & n’est pas plus oblige de savoir par cœur son Diogene-Laerce, que moi d’avoir vu de près ce qui se passe dans les combats.

Je conviens donc que Socrate n’a songe qu’a relever les vices des Philosophes de son tems : mais je ne fais qu’en conclure sinon que des ce tems-là les vices pulluloient avec les Philosophes. À cela on me répond que c’est l’abus de la Philosophie, & je ne pense pas avoir dit le contraire. Quoi ! faut-il donc supprimer toutes les choses dont abuse ? Oui sans doute, répondrai-je sans balancer : toutes celles dont l’abus fait plus de mal que leur usage ne fait de bien.

Arrêtons-nous un instant sur cette derniere conséquence, & gardons-nous d’en conclure qu’il faille aujourd’hui brûler les Bibliothèques & détruire les Universités & les Académies. Nous ne ferions que replonger l’Europe dans la barbarie, & les mœurs n’y gagneroient rien.*

[*Les vices nous resteroient, dit le Philosophe que j’ai déjà cite, & nous aurions l’ignorance de plus. Dans le peu de lignes que cet Auteur a écrites sur ce grand sujet, on voit qu’il a tourne les yeux de ce qu’il a vu loin.] C’est avec douleur que je vais prononcer une grande & fatale vérité. Il n’y a qu’un pas du savoir à l’ignorance ; & l’alternative de l’un à l’autre est fréquente chez les Nations ; mais on n’a jamais vu de une fois corrompu, revenir à la vertu. En vain vous prétendriez détruire les sources du mal ; en vain vous ôteriez les alimens de la vanité, de l’oisiveté & du luxe ; en vain même