Page:Rousseau - Du Contrat social éd. Beaulavon 1903.djvu/237

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du peuple étant la leur, leur plus grand intérêt est que le peuple soit florissant, nombreux, redoutable ; ils savent très bien que cela n’est pas vrai. Leur intérêt personnel est premièrement que le peuple soit faible, misérable, et qu’il ne puisse jamais leur résister. J’avoue que, supposant les sujets toujours parfaitement soumis, l’intérêt du prince serait alors que le peuple fût puissant, afin que cette puissance étant la sienne le rendît redoutable à ses voisins ; mais, comme cet intérêt n’est que secondaire et subordonné, et que les deux suppositions sont incompatibles[1], il est naturel que les princes donnent toujours la préférence à la maxime qui leur est le plus immédiatement utile. C’est ce que Samuel représentait fortement aux Hébreux[2] ; c’est ce que Machiavel a fait voir avec évidence. En feignant de donner des leçons aux rois, il en a donné de grandes aux peuples. Le Prince de Machiavel est le livre des républicains [3].

  1. À savoir, 1o que les sujets soient parfaitement soumis, 2o que le peuple soit aussi puissant que possible. La puissance du peuple suppose, chez les individus, l’esprit d’initiative et d’indépendance.
  2. Paroles de Samuel aux Hébreux, qui demandaient un roi (Ier liv. de Samuel, chap. viii, vers. 10-18.)
  3. Machiavel était un honnête homme et un bon citoyen ; mais, attaché à la maison de Médicis, il était forcé, dans l’oppression de sa patrie, de déguiser son amour pour la liberté. Le choix seul de son exécrable héros (César Borgia) manifeste assez son intention secrète ; et l’opposition des maximes de son livre du Prince à celles de ses Discours sur Tite-Live et de son Histoire de Florence, démontre que ce profond politique n’a eu jusqu’ici que des lecteurs superficiels ou corrompus. La cour de Rome a sévèrement défendu