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LES RÉSIDENCES

Pendant que Bolle jasait en manœuvrant et en me montrant la robustesse de ses bras secs et longs, je lorgnais les rives du lac, encaissées dans des coteaux modérés, — comme dirait M. Sainte-Beuve, — d’un effet joli, agréable, mais non grandiose, et je braquais mon regard sur Morat et son château massif fondé par le comte Pierre de Savoie, où vivent palpitants les souvenirs de terribles assauts et de rudes batailles, dans lesquels le vieil héroïsme helvétique, retrempé par l’énergie du désespoir, de l’indignation, fort de la justice de sa cause, et grisé par l’imminence du danger, broya un ennemi qu’exaspérait une première défaite.

Vers deux heures de l’après-midi, nous touchâmes le quai de la ville basse, appelée la Rive (an der Ryf). Là, je priai Bolle d’amarrer son batelet et de m’escorter dans la visite que je voulais faire au quartier d’en haut. L’Hollandais y consentit avec plaisir, et nous grimpâmes par un chemin roide le long d’un rempart du xve siècle, à tours lézardées et crevassées par les boulets. Au sommet de cette montée, une porte fortifiée nous donna accès dans la rue principale de la ville, dont les maisons, à arcades surbaissées, rappellent celles de Berne. Il y avait marché ce jour-là, et il nous fallut passer en revue une armée de