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La Monongahéla

ainsi sans la permission de ma tante, à son insu. N’est-ce pas un danger ?

— Un danger ! pouvez-vous dire un mot si dur et si injuste ! Avez-vous jamais vu un esclave plus soumis ? Vous m’avez permis de vous adresser quelquefois la parole, Irène, mais vous m’avez défendu de vous suivre. N’ai-je pas obéi ?

— C’est vrai, dit Irène en souriant, vous êtes un honnête ami. Mais enfin, mon cher Nicolas, vous saviez bien que du jour où l’esclave deviendrait exigeant, il lui faudrait tout perdre.

— Irène, fit le jeune homme avec une émotion profonde, je ne dirai pas que je n’aime que vous au monde, car j’aime aussi les parents qui me restent ; mais c’est d’un amour calme et doux qui ne ressemble en rien au sentiment que j’éprouve pour vous. Quand je pense à vous, Irène, mon sang bout, ma poitrine se gonfle, mon cœur déborde ; mais cette force, cette ardeur, cette puissance surhumaine, je les emploierai à vous aimer seulement jusqu’au jour où vous me direz de les employer à vous servir. L’avenir est devant nous. Espérons donc toujours, c’est si bon et si doux d’espérer ! Mais en attendant, vous, Irène, vous qui me reprochez mon égoïsme, qu’avez-vous été pour moi ? En échange de ce dévouement, de cette obéissance, de cette retenue, que m’avez-vous donné ? Bien peu de chose !

Depuis mon retour, Irène, j’ai appris bien des