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La Monongahéla

Don Pedro était devant elle, Don Pedro attiré par les nouvelles dont il venait faire part à sa fille.


XXII

La force du souvenir.


Il était près de minuit. Une brise fraîche tempérait les chaudes exhalaisons de la terre. La lune resplendissante éclairait la campagne au moment où Daniel, chassé par une douloureuse insomnie, sortait de l’hôtellerie. Il se mit en marche à pas lents et instinctivement se dirigea vers les lieux où, comme le disait tout à l’heure Médard à la jeune fille, il avait souffert. Un désir irraisonné et en quelque sorte tyrannique, l’y portait. Lui, l’homme à la volonté de fer, se courbait sous l’injonction de la folie.

La rêverie le grisait. Tantôt immobile, les yeux perdus dans le vague, il se complaisait à regarder s’épaissir la trame des ombres qui le caressaient. Tout s’effaçait maintenant autour de lui, et c’est à peine si un ruban de clair-obscur s’enroulait encore aux troncs noueux des arbres. Les ténèbres glissaient sur ses prunelles comme les décors de gaze des féeries. Il en sentait le plissement sur ses paupières et prenait une jouissance étrange à cette émersion de son être dans l’obscurité.