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LIVRE TROISIÈME


1728-1731



S orti de chez madame de Vercellis à peu près comme j’y étais entré, je retournai chez mon ancienne hôtesse, et j’y restai cinq ou six semaines, durant lesquelles la santé, la jeunesse et l’oisiveté me rendirent souvent mon tempérament importun. J’étais inquiet, distrait, rêveur ; je pleurais, je soupirais, je désirais un bonheur dont je n’avais pas d’idée, et dont je sentais la privation. Cet état ne peut se décrire ; et peu d’hommes même le peuvent imaginer, parce que la plupart ont prévenu cette plénitude de vie, à la fois tourmentante et délicieuse, qui, dans l’ivresse du désir, donne un avant-goût de la jouissance. Mon sang allumé remplissait incessamment mon cerveau de filles et de femmes ; mais n’en sentant pas le véritable usage, je les occupais bizarrement en idées à mes fantaisies