Page:Rousseau - Les Confessions, Launette, 1889, tome 2.djvu/152

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je me soumis même aux instructions du pasteur de la paroisse où je logeais, laquelle était hors de la ville. Je désirai seulement de n’être pas obligé de paraître en consistoire. L’édit ecclésiastique cependant y était formel ; on voulut bien y déroger en ma faveur, et l’on nomma une commission de cinq ou six membres pour recevoir en particulier ma profession de foi. Malheureusement le ministre Perdriau, homme aimable et doux, avec qui j’étais lié, s’avisa de me dire qu’on se réjouissait de m’entendre parler dans cette petite assemblée. Cette attente m’effraya si fort, qu’ayant étudié jour et nuit, pendant trois semaines, un petit discours que j’avais préparé, je me troublai lorsqu’il fallut le réciter, au point de n’en pouvoir pas dire un seul mot, et je fis dans cette conférence le rôle du plus sot écolier. Les commissaires parlaient pour moi ; je répondais bêtement oui et non ; ensuite je fus admis à la communion et réintégré dans mes droits de citoyen : je fus inscrit comme tel dans le rôle des gardes que payent les seuls citoyens et bourgeois, et j’assistais à un conseil général extraordinaire, pour recevoir le serment du syndic Mussard. Je fus si touché des bontés que me témoignèrent en cette occasion le conseil, le consistoire, et des procédés obligeants et honnêtes de tous les magistrats, ministres et citoyens, que, pressé par le bonhomme Deluc, qui m’obsédait sans cesse, et encore plus par mon propre penchant, je ne songeai à retourner à Paris que pour dissoudre mon ménage, mettre en règle mes petites affaires, placer madame le Vasseur et son mari, ou pourvoir à leur subsistance, et revenir avec Thérèse m’établir à Genève pour le reste de mes jours.

Cette résolution prise, je fis trêve aux affaires sérieuses pour m’amuser avec mes amis jusqu’au temps de mon départ. De tous ces amusements, celui qui me plut davantage fut une promenade autour du lac, que je fis en bateau avec Deluc père, sa bru, ses deux fils et ma Thérèse. Nous mîmes sept jours à cette tournée, par le plus beau temps du monde. J’en gardai le vif souvenir des sites qui m’avaient frappé à l’autre extrémité du lac, et dont je fis la description quelques années après dans la Nouvelle Héloïse.

Les principales liaisons que je fis à Genève, outre les Deluc, dont j’ai parlé, furent le jeune ministre Vernes, que j’avais déjà connu à Paris, et dont j’augurais mieux qu’il n’a valu dans la suite ;