Page:Rousseau - Les Confessions, Launette, 1889, tome 2.djvu/160

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apparemment faire sa cour en jouant, dans ce drame, un homme qui avait osé se mesurer avec le roi la plume à la main. Stanislas, qui était généreux et qui n’aimait pas la satire, fut indigné qu’on osât ainsi personnaliser en sa présence. M. le comte de Tressan écrivit, par l’ordre de ce prince, à d’Alembert et à moi, pour m’informer que l’intention de Sa Majesté était que le sieur Palissot fût chassé de son académie. Ma réponse fut une vive prière à M. de Tressan d’intercéder auprès du roi de Pologne pour obtenir la grâce du sieur Palissot. La grâce fut accordée ; et M. de Tressan, en me le marquant au nom du roi, ajouta que ce fait serait inscrit sur les registres de l’académie. Je répliquai que c’était moins accorder une grâce que perpétuer un châtiment. Enfin j’obtins, à force d’instances, qu’il ne serait fait mention de rien dans les registres, et qu’il ne resterait aucune trace publique de cette affaire. Tout cela fut accompagné, tant de la part du roi que de celle de M. de Tressan, de témoignages d’estime et de considération dont je fus extrêmement flatté ; et je sentis en cette occasion que l’estime des hommes qui en sont si dignes eux-mêmes produit dans l’âme un sentiment bien plus doux et plus noble que celui de la vanité. J’ai transcrit dans mon recueil les lettres de M. de Tressan avec mes réponses, et l’on en trouvera les originaux dans la liasse A, nos 9, 10 et 11.

Je sens bien que si jamais ces mémoires parviennent à voir le jour, je perpétue ici moi-même le souvenir d’un fait dont je voulais effacer la trace ; mais j’en transmets bien d’autres malgré moi. Le grand objet de mon entreprise, toujours présent à mes yeux, l’indispensable devoir de la remplir dans toute son étendue, ne m’en laisseront point détourner par de plus faibles considérations qui m’écarteraient de mon but. Dans l’étrange, dans l’unique situation où je me trouve, je me dois trop à la vérité pour devoir rien de plus à autrui. Pour me bien connaître, il faut me connaître dans tous mes rapports, bons et mauvais. Mes confessions sont nécessairement liées avec celles de beaucoup de gens : je fais les unes et les autres avec la même franchise en tout ce qui se rapporte à moi, ne croyant devoir à qui que ce soit plus de ménagements que je n’en ai pour moi-même, et voulant toutefois en avoir beaucoup plus. Je veux être toujours juste et vrai, dire d’autrui le bien tant qu’il me sera possible, ne dire jamais