Iphis et Anaxarète, que j’avais eu le bon sens de jeter au feu. J’en avais fait à Lyon un autre, intitulé la Découverte du nouveau monde, dont, après l’avoir lu à M. Bordes, à l’abbé de Mably, à l’abbé Trublet et à d’autres, j’avais fini par faire le même usage, quoique j’eusse déjà fait la musique du prologue et du premier acte, et que David m’eût dit, en voyant cette musique, qu’il y avait des morceaux dignes de Buononcini.
Cette fois, avant de mettre la main à l’œuvre, je me donnai le temps de méditer mon plan. Je projetai dans un ballet héroïque trois sujets différents en trois actes détachés, chacun dans un différent caractère de musique ; et, prenant pour chaque sujet les amours d’un poète, j’intitulai cet opéra les Muses galantes. Mon premier acte, en genre de musique forte, était le Tasse ; le second, en genre de musique tendre, était Ovide ; et le troisième, intitulé Anacréon, devait respirer la gaieté du dithyrambe. Je m’essayai d’abord sur le premier acte, et je m’y livrai avec une ardeur qui, pour la première fois, me fit goûter les délices de la verve dans la composition. Un soir, près d’entrer à l’Opéra, me sentant tourmenté, maîtrisé par mes idées, je remets mon argent dans ma poche, je cours m’enfermer chez moi ; je me mets au lit, après avoir bien fermé mes rideaux pour empêcher le jour d’y pénétrer ; et là, me livrant à tout l’œstre poétique et musical, je composai rapidement en sept ou huit heures la meilleure partie de mon acte. Je puis dire que mes amours pour la princesse de Ferrare (car j’étais le Tasse pour lors), et mes nobles et fiers sentiments vis-à-vis de son injuste frère, me donnèrent une nuit cent fois plus délicieuse que je ne l’aurais trouvée dans les bras de la princesse elle-même. Il ne resta le matin dans ma tête qu’une bien petite partie de ce que j’avais fait ; mais ce peu, presque effacé par la lassitude et le sommeil, ne laissait pas de marquer encore l’énergie des morceaux dont il offrait les débris.
Pour cette fois je ne poussai pas fort loin ce travail, en ayant été détourné par d’autres affaires. Tandis que je m’attachais à la maison Dupin, madame de Beuzenval et madame de Broglie, que je continuai de voir quelquefois, ne m’avaient pas oublié. M. le comte de Montaigu, capitaine aux gardes, venait d’être nommé ambassadeur à Venise. C’était un ambassadeur de la façon de Barjac, auquel il faisait assidûment