Page:Rousseau - Philosophie, 1823.djvu/153

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l’hypocrisie. Il me demande si je voudrais que le vice se montrât à découvert. Assurément je le voudrais : la confiance et l’estime renaîtraient entre les bons, on apprendrait à se défier des méchants, et la société en serait plus sûre. J’aime mieux que mon ennemi m’attaque à force ouverte, que de venir en trahison me frapper par derrière. Quoi donc ! faudra-t-il joindre le scandale au crime ? je ne sais ; mais je voudrais bien qu’on n’y joignît pas la fourberie. C’est une chose très-commode pour les vicieux que toutes les maximes qu’on nous débite depuis long-temps sur le scandale. Si on les voulait suivre à la rigueur, il faudrait se laisser piller, trahir, tuer impunément, et ne jamais punir personne ; car c’est un objet très-scandaleux qu’un scélérat sur la roue. Mais l’hypocrisie est un hommage que le vice rend à la vertu. Oui, comme celui des assassins de César, qui se prosternaient à ses pieds pour l’égorger plus sûrement. Cette pensée a beau être brillante, elle a beau être autorisée du nom célèbre de son auteur[1]a, elle n’en est pas plus juste. Dira-t-on jamais d’un filou qui prend la livrée d’une maison pour faire son coup plus commodément, qu’il rend hommage au maître de la maison qu’il vole ? Non : couvrir sa méchanceté du dangereux manteau de l’hypocrisie, ce n’est point honorer la vertu, c’est l’outrager en profanant ses enseignes ; c’est ajouter la lâcheté et la fourberie à tous les autres vices ; c’est se fermer pour jamais tout retour vers la probité. Il y a des

  1. Le duc de La Rochefoucauld. Maximes, 223.