Page:Rousseau - Philosophie, 1823.djvu/169

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les autres vices. La vertu n’est donc pas incompatible avec l’ignorance.

Elle n’est pas non plus toujours sa compagne ; car plusieurs peuples très-ignorants étaient très-vicieux. L’ignorance n’est un obstacle ni au bien ni au mal ; elle est seulement l’état naturel de l’homme[1].

    cipe, et ne veux point de prôneurs ; ainsi je vais dire la vérité tout à mon aise.


    L’homme et la femme sont faits pour s’aimer et s’unir ; mais, passé cette union légitime, tout commerce d’amour entre eux est une source affreuse de désordres dans la société et dans les mœurs. Il est certain que les femmes seules pourraient ramener l’honneur et la probité parmi nous : mais elles dédaignent des mains de la vertu un empire qu’elles ne veulent devoir qu’à leurs charmes ; ainsi elles ne font que du mal, et reçoivent souvent elles-mêmes la punition de cette préférence. On a peine à concevoir comment, dans une religion si pure, la chasteté a pu devenir une vertu basse et monacale, capable de rendre ridicule tout homme, et je dirais presque toute femme qui oserait s’en piquer, tandis que, chez les païens, cette même vertu était universellement honorée, regardée comme propre aux grands hommes, et admirée dans leurs plus illustres héros. J’en puis nommer trois qui ne céderont le pas à nul autre, et qui, sans que la religion s’en mêlât, ont tous donné des exemples mémorables de continence : Cyrus, Alexandre, et le jeune Scipion. De toutes les raretés que renferme le Cabinet du Roi, je ne voudrais voir que le bouclier d’argent qui fut donné à ce dernier par les peuples d’Espagne, et sur lequel ils avaient fait graver le triomphe de sa vertu. C’est ainsi qu’il appartenait aux Romains de soumettre les peuples, autant par la vénération due à leurs mœurs, que par l’effort de leurs armes ; c’est ainsi que la ville des Falisques fut subjuguée, et Pyrrhus vainqueur chassé de l’Italie.

    Je me souviens d’avoir lu quelque part une assez bonne réponse du poète Dryden à un jeune seigneur anglais qui lui reprochait que, dans une de ses tragédies, Cléomène s’amusait à causer tête à tête avec son amante, au lieu de former quelque entreprise digne de son amour. « Quand je suis auprès d’une belle, lui disait le jeune lord, je sais mieux mettre le temps à profit. Je le crois, lui répliqua Dryden ; mais aussi m’avouerez-vous bien que vous n’êtes pas un héros. »

  1. Je ne puis m’empêcher de rire en voyant je ne sais combien de fort savants hommes qui m’honorent de leur critique m’opposer