Page:Rousseau - Philosophie, 1823.djvu/250

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doute celui que donnent les talents et la vertu, celui dont vous vous êtes rendus dignes, et auquel vos concitoyens vous ont élevés. Leur propre mérite ajoute encore au vôtre un nouvel éclat ; et, choisis par des hommes capables d’en gouverner d’autres pour les gouverner eux-mêmes, je vous trouve autant au-dessus des autres magistrats, qu’un peuple libre, et surtout celui que vous avez l’honneur de conduire, est, par ses lumières et par sa raison, au-dessus de la populace des autres états.

Qu’il me soit permis de citer un exemple dont il devrait rester de meilleures traces, et qui sera toujours présent à mon cœur. Je ne me rappelle point sans la plus douce émotion la mémoire du vertueux citoyen de qui j’ai reçu le jour, et qui souvent entretint mon enfance du respect qui vous était dû. Je le vois encore, vivant du travail de ses mains, et nourrissant son ame des vérités les plus sublimes. Je vois Tacite, Plutarque et Grotius, mêlés devant lui avec les instruments de son métier. Je vois à ses côtés un fils, chéri recevant avec trop peu de fruit les tendres instructions du meilleur des pères. Mais si les égarements d’une folle jeunesse me firent oublier durant un temps de si sages leçons, j’ai le bonheur d’éprouver enfin que, quelque penchant qu’on ait vers le vice, il est difficile qu’une éducation dont le cœur se mêle reste perdue pour toujours.

Tels sont, magnifiques et très-honorés seigneurs, les citoyens et même les simples habitants nés dans l’état que vous gouvernez ; tels sont ces hommes instruits et sensés dont, sous le nom d’ouvriers et de peuple, on a chez les autres nations des idées si basses et si fausses. Mon père, je l’avoue avec joie, n’était point distingué