Page:Rousseau - Philosophie, 1823.djvu/256

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Il est aisé de voir que c’est dans ces changements successifs de la constitution humaine qu’il faut chercher la première origine des différences qui distinguent les hommes, lesquels, d’un commun aveu, sont naturellement aussi égaux entre eux que l’étaient les animaux de chaque espèce avant que diverses causes physiques eussent introduit dans quelques-unes les variétés que nous y remarquons. En effet, il n’est pas concevable que ces premiers changements, par quelque moyen qu’ils soient arrivés, aient altéré, tout à la fois et de la même manière, tous les individus de l’espèce ; mais les uns s’étant perfectionnés ou détériorés, et ayant acquis diverses qualités, bonnes ou mauvaises, qui n’étaient point inhérentes à leur nature, les autres restèrent plus longtemps dans leur état originel : et telle fut parmi les hommes la première source de l’inégalité, qu’il est plus aisé de démontrer ainsi en général que d’en assigner avec précision les véritables causes.

Que mes lecteurs ne s’imaginent donc pas que j’ose me flatter d’avoir vu ce qui me paraît si difficile à voir. J’ai commencé quelques raisonnements, j’ai hasardé quelques conjectures, moins dans l’espoir de résoudre la question, que dans l’intention de l’éclaircir et de la réduire à son véritable état. D’autres pourront aisément aller plus loin dans la même route, sans qu’il soit facile à personne d’arriver au terme ; car ce n’est pas une légère entreprise de démêler ce qu’il y a d’originaire et d’artificiel dans la nature actuelle de l’homme, et de bien connaître un état qui n’existe plus, qui n’a peut-être point existé, qui probablement n’existera jamais, et dont il est pourtant nécessaire d’avoir des notions justes, pour bien juger de notre état présent. Il faudrait même plus de philosophie qu’on ne pense à celui qui entreprendrait de déterminer les précautions à prendre pour faire sur ce sujet de solides observations ; et une bonne solution du problème suivant ne me paraîtrait pas indigne des Aristote et des Pline de notre siècle : « Quelles expériences seraient nécessaires pour parvenir à connaître l’homme naturel ; et quels sont les moyens de faire ces expériences au sein de la société ? » Loin d’entreprendre de résoudre ce problème, je crois en avoir assez médité le sujet