Page:Rousseau - Philosophie, 1823.djvu/287

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les lui ayant rendus chers, elle les nourrissait ensuite pour le leur ; sitôt qu’ils avaient la force de chercher leur pâture, ils ne tardaient pas à quitter la mère elle-même ; et comme il n’y avait presque point d’autre moyen de se retrouver que de ne pas se perdre de vue, ils en étaient bientôt au point de ne pas même se reconnaître les uns les autres. Remarquez encore que l’enfant ayant tous ses besoins à expliquer, et par conséquent plus de choses à dire à la mère que la mère à l’enfant, c’est lui qui doit faire les plus grands frais de l’invention, et que la langue qu’il emploie doit être en grande partie son propre ouvrage ; ce qui multiplie autant les langues qu’il y a d’individus pour les parler, à quoi contribue encore la vie errante et vagabonde qui ne laisse à aucun idiome le temps de prendre de la consistance ; car de dire que la mère dicte à l’enfant les mots dont il devra se servir pour lui demander telle ou telle chose, cela montre bien comment on enseigne des langues déjà formées, mais cela n’apprend point comment elles se forment.

Supposons cette première difficulté vaincue : franchissons pour un moment l’espace immense qui dut se trouver entre le pur état de nature et le besoin des langues ; et cherchons, en les supposant nécessaires (Note 13), comment elles purent commencer à s’établir. Nouvelle difficulté pire encore que la précédente ; car si les hommes ont eu besoin de la parole pour apprendre à penser, ils ont eu bien plus besoin encore de savoir penser pour trouver