Page:Rousseau - Philosophie, 1823.djvu/295

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qu’avec les occasions de les exercer, afin qu’elles ne lui fussent ni superflues et à charge avant le temps, ni tardives, et inutiles au besoin. Il avait dans le seul instinct tout ce qu’il fallait pour vivre dans l’état de nature, il n’a dans une raison cultivée que ce qu’il lui faut pour vivre en société.

Il paraît d’abord que les hommes dans cet état n’ayant entre eux aucune sorte de relation morale, ni de devoirs connus, ne pouvaient être ni bons ni méchants, et n’avaient ni vices ni vertus, à moins que, prenant ces mots dans un sens physique, on n’appelle vices dans l’individu les qualités qui peuvent nuire à sa propre conservation, et vertus celles qui peuvent y contribuer ; auquel cas, il faudrait appeler le plus vertueux celui qui résisterait le moins aux simples impulsions de la nature. Mais sans nous écarter du sens ordinaire, il est à propos de suspendre le jugement que nous pourrions porter sur une telle situation, et de nous défier de nos préjugés, jusqu’à ce que, la balance à la main, on ait examiné s’il y a plus de vertus que de vices parmi les hommes civilisés, ou si leurs vertus sont plus avantageuses que leurs vices ne sont funestes, ou si le progrès de leurs connaissances est un dédommagement suffisant des maux qu’ils se font mutuellement, à mesure qu’ils s’instruisent du bien qu’ils devraient se faire, ou s’ils ne seraient pas, à tout prendre, dans une situation plus heureuse de n’avoir ni mal à craindre ni bien à espérer de personne que de s’être soumis à une dépendance universelle,