Page:Rousseau - Philosophie, 1823.djvu/297

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la mamelle, qu’il n’étranglât un de ses jeunes frères lorsqu’il en serait incommodé, qu’il ne mordît la jambe à l’autre lorsqu’il en serait heurté ou troublé ; mais ce sont deux suppositions contradictoires dans l’état de nature qu’être robuste et dépendant ; l’homme est faible quand il est dépendant, et il est émancipé avant que d’être robuste. Hobbes n’a pas vu que la même cause qui empêche les sauvages d’user de leur raison, comme le prétendent nos jurisconsultes, les empêche en même temps d’abuser de leurs facultés, comme il le prétend lui-même ; de sorte qu’on pourrait dire que les sauvages ne sont pas méchants précisément, parce qu’ils ne savent pas ce que c’est qu’être bons ; car ce n’est ni le développement des lumières, ni le frein de la loi, mais le calme des passions, et l’ignorance du vice qui les empêche de mal faire ; tanto plus in illis proficit vitiorum ignoratio, quàm in his cognitio virtutis. Il y a d’ailleurs un autre principe que Hobbes n’a point aperçu et qui, ayant été donné à l’homme pour adoucir, en certaines circonstances, la férocité de son amour-propre, ou le désir de se conserver avant la naissance de cet amour (Note 15), tempère l’ardeur qu’il a pour son bien-être par une répugnance innée à voir souffrir son semblable. Je ne crois pas avoir aucune contradiction à craindre, en accordant à l’homme la seule vertu naturelle,