Page:Rousseau - Philosophie, 1823.djvu/303

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

qui brave tous les dangers, renverse tous les obstacles, et qui dans ses fureurs semble propre à détruire le genre humain qu’elle est destinée à conserver. Que deviendront les hommes en proie à cette rage effrénée et brutale, sans pudeur, sans retenue, et se disputant chaque jour leurs amours au prix de leur sang ? Il faut convenir d’abord que plus les passions sont violentes, plus les lois sont nécessaires pour les contenir : mais outre que les désordres et les crimes que celles-ci causent tous les jours parmi nous montrent assez l’insuffisance des lois à cet égard, il serait encore bon d’examiner si ces désordres ne sont point nés avec les lois mêmes ; car alors, quand elles seraient capables de les réprimer, ce serait bien le moins qu’on en dût exiger que d’arrêter un mal qui n’existerait point sans elles.

Commençons par distinguer le moral du physique dans le sentiment de l’amour. Le physique est ce désir général qui porte un sexe à s’unir à l’autre ; le moral est ce qui détermine ce désir et le fixe sur un seul objet exclusivement, ou qui du moins lui donne pour cet objet préféré un plus grand degré d’énergie. Or il est facile de voir que le moral de l’amour est un sentiment factice ; né de l’usage de la société, et célébré par les femmes avec beaucoup d’habileté et de soin pour établir leur empire, et rendre dominant le sexe qui devrait obéir. Ce sentiment étant fondé sur certaines notions du mérite ou de la beauté qu’un sauvage n’est point en état d’avoir, et sur des comparaisons qu’il n’est point