Page:Rousseau - Philosophie, 1823.djvu/316

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ils ne songeaient pas même au lendemain. S’agissait-il de prendre un cerf, chacun sentait bien qu’il devait pour cela garder fidèlement son poste ; mais si un lièvre venait à passer à la portée de l’un d’eux, il ne faut pas douter qu’il ne le poursuivît sans scrupule, et qu’ayant atteint sa proie il ne se souciât fort peu de faire manquer la leur à ses compagnons. Il est aisé de comprendre qu’un pareil commerce n’exigeait pas un langage beaucoup plus raffiné que celui des corneilles ou des singes, qui s’attroupent à peu près de même. Des cris inarticulés, beaucoup de gestes et quelques bruits imitatifs durent composer pendant longtemps la langue universelle, à quoi joignant dans chaque contrée quelques sons articulés et conventionnels dont, comme je l’ai déjà dit, il n’est pas trop facile d’expliquer l’institution, on eut des langues particulières, mais grossières, imparfaites, et telles à peu près qu’en ont encore aujourd’hui diverses nations sauvages. Je parcours comme un trait des multitudes de siècles, forcé par le temps qui s’écoule, par l’abondance des choses que j’ai à dire, et par le progrès presque insensible des commencements ; car plus les événements étaient lents à se succéder, plus ils sont prompts à décrire. Ces premiers progrès mirent enfin l’homme à portée d’en faire de plus rapides. Plus l’esprit s’éclairait, et plus l’industrie se perfectionna. Bientôt cessant de s’endormir sous le premier arbre, ou de se retirer dans des cavernes, on trouva quelques sortes de haches de pierres dures et tranchantes, qui