Page:Rousseau - Philosophie, 1823.djvu/327

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le plus adroit tirait meilleur parti du sien ; le plus ingénieux trouvait des moyens d’abréger le travail ; le laboureur avait plus besoin de fer, ou le forgeron plus besoin de blé, et en travaillant également, l’un gagnait beaucoup tandis que l’autre avait peine à vivre. C’est ainsi que l’inégalité naturelle se déploie insensiblement avec celle de combinaison et que les différences des hommes, développées par celles des circonstances, se rendent plus sensibles, plus permanentes dans leurs effets, et commencent à influer dans la même proportion sur le sort des particuliers.

Les choses étant parvenues à ce point, il est facile d’imaginer le reste. Je ne m’arrêterai pas à décrire l’invention successive des autres arts, le progrès des langues, l’épreuve et l’emploi des talents, l’inégalité des fortunes, l’usage ou l’abus des richesses, ni tous les détails qui suivent ceux-ci, et que chacun peut aisément suppléer. Je me bornerai seulement à jeter un coup d’œil sur le genre humain placé dans ce nouvel ordre de choses.

Voilà donc toutes nos facultés développées, la mémoire et l’imagination en jeu, l’amour-propre intéressé, la raison rendue active et l’esprit arrivé presque au terme de la perfection, dont il est susceptible. Voilà toutes les qualités naturelles mises en action, le rang et le sort de chaque homme établi, non seulement sur la quantité des biens et le pouvoir de servir ou de nuire, mais sur l’esprit, la beauté, la force ou l’adresse, sur le mérite ou les talents, et ces qualités étant les seules qui pouvaient attirer de la considération, il fallut bientôt