Page:Rousseau - Philosophie, 1823.djvu/375

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bien peur que quelqu’un ne s’avise à la fin de me répondre que toutes ces grandes choses, savoir les arts, les sciences et les lois, ont été très sagement inventées par les hommes, comme une peste salutaire pour prévenir l’excessive multiplication de l’espèce, de peur que ce monde, qui nous est destiné, ne devînt à la fin trop petit pour ses habitants.

Quoi donc ? Faut-il détruire les sociétés, anéantir le tien et le mien, et retourner vivre dans les forêts avec les ours ? Conséquence à la manière de mes adversaires, que j’aime autant prévenir que de leur laisser la honte de la tirer. O vous, à qui la voix céleste ne s’est point fait entendre et qui ne reconnaissez pour votre espèce d’autre destination que d’achever en paix cette courte vie, vous qui pouvez laisser au milieu des villes vos funestes acquisitions, vos esprits inquiets, vos cœurs corrompus et vos désirs effrénés, reprenez, puisqu’il dépend de vous, votre antique et première innocence ; allez dans les bois perdre la vue et la mémoire des crimes de vos contemporains et ne craignez point d’avilir votre espèce, en renonçant à ses lumières pour renoncer à ses vices. Quant aux hommes semblables à moi dont les passions ont détruit pour toujours l’originelle simplicité, qui ne peuvent plus se nourrir d’herbe et de gland, ni se passer de lois et de chefs, ceux qui furent honorés dans leur premier père de leçons surnaturelles, ceux qui verront dans l’intention de donner d’abord aux actions humaines une moralité qu’elles n’eussent de longtemps acquise, la raison d’un précepte indifférent par lui-même et inexplicable dans tout autre système ; ceux, en un mot, qui sont convaincus que la voix divine appela tout le genre humain aux lumières et au bonheur des célestes intelligences, tout ceux-là tâcheront, par l’exercice des vertus qu’ils s’obligent à pratiquer en apprenant à les connaître, à mériter le prix éternel qu’ils en doivent attendre ; ils respecteront les sacrés liens des sociétés dont ils sont les membres ; ils aimeront leurs semblables et les serviront de tout leur pouvoir ; ils obéiront scrupuleusement aux lois et aux hommes qui en sont les auteurs et les ministres, ils honoreront surtout les bons et sages princes qui sauront prévenir, guérir ou pallier cette foule d’abus et de maux toujours prêts à nous accabler, ils animeront le zèle de ces dignes chefs, en leur montrant