Page:Rousseau - Philosophie, 1823.djvu/55

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Les haines nationales s’éteindront, mais ce sera avec l’amour de la patrie. À l’ignorance méprisée on substituera un dangereux pyrrhonisme. Il y aura des excès proscrits, des vices déshonorés mais d’autres seront décorés du nom de vertus ; il faudra ou les avoir ou les affecter. Vantera qui voudra la sobriété des sages du temps ; je n’y vois, pour moi, qu’un raffinement d’intempérance autant indigne de mon éloge que leur artificieuse simplicité[1].

Telle est la pureté que nos mœurs ont acquise ; c’est ainsi que nous sommes devenus gens de bien. C’est aux lettres, aux sciences et aux arts à revendiquer ce qui leur appartient dans un si salutaire ouvrage. J’ajouterai seulement une réflexion, c’est qu’un habitant de quelques contrées éloignées qui chercherait à se former une idée des mœurs européennes sur l’état des sciences parmi nous, sur la perfection de nos arts, sur la bienséance de nos spectacles, sur la politesse de nos manières, sur l’affabilité de nos discours, sur nos démonstrations perpétuelles de bienveillance, et sur ce concours

  1. « J’aime, dit Montaigne, à contester et à discourir, mais c’est avecques peu d’hommes, et pour moy. Car de servir de spectacle aux grands, et faire à l’envy parade de son esprit et de son caquet, je treuve que c’est un mestier tresmesséant a un homme d’honneur. » (Liv. iii, chap. 8.) C’est celui de tous nos beaux esprits, hors un*.

    *On a présumé que Diderot était l’objet de cette honorable exception ; ce qui le fait croire, c’est que Jean-Jacques était très-occupé de lui a l’époque où il composa ce discours. Cependant l’abbé de Condillac, qu’il aimait beaucoup, et qui resta son ami, méritait d’être compris dans l’exception. Ce qui peut excuser Rousseau, c’est que l’abbé n’était pas au nombre des beaux-esprits.