Page:Roussel - Impressions d Afrique (1910).djvu/90

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l’adresse, faisait une entrée impressionnante en poussant lui-même sur le devant de la scène un volumineux instrument à roulettes.

À la fois cul-de-jatte et manchot des deux bras, Tancrède, sanglé dans un costume de Bohémien, se mouvait très alertement en sautillant sur ses tronçons de cuisses. Il grimpa sans aucune aide sur une plate-forme basse située au milieu du meuble qu’il venait de charrier, et, tournant ainsi le dos au public, trouva juste à hauteur de sa bouche une large flûte de Pan qui, cintrée autour de son menton, comprenait un ensemble vertical de tuyaux régulièrement étagés par en dessous du plus grand au plus petit. Vers la droite, un gros accordéon présentait, à l’extrémité de son soufflet, une épaisse courroie de cuir dont la boucle s’adaptait exactement au biceps incomplet dépassant de dix centimètres à peine l’épaule du petit homme. De l’autre côté, un triangle suspendu par un fil était prêt à vibrer sous les battements d’une tige de fer fixée d’avance, par de solides attaches, au moignon gauche de l’exécutant.

Après s’être mis en bonne posture, Tancrède, donnant à lui seul l’illusion d’un orchestre, attaqua vigoureusement une brillante ouverture.

Sa tête oscillait sans cesse avec rapidité pour permettre à ses lèvres de trouver sur la flûte les