Page:Roussel - Locus Solus, 1914.djvu/410

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avec avidité du nouveau thème fertile subitement offert à sa verve prophétique.

Joint à l’aspect entièrement normal des tarots, le mystère de ces symphonies spontanées et de ces flamboyantes couronnes aériennes impressionnait les curieux, dont le nombre allait croissant.

Au cours de leurs improvisations, les émerauds, comme sous l’empire d’une hantise, ébauchaient souvent, dans le ton de fa majeur, en s’efforçant vainement de la continuer, certaine mélodie caractéristique remarquée par Félicité. Un touriste anglais, mêlé un soir à l’attroupement habituel, entendit et reconnut — le premier tarot à peine abattu — l’étrange motif tracassant, début d’une cantilène d’outre-Manche qu’il chanta dès lors intégralement. Les émerauds, suivant sa voix pour exécuter avec lui — simultanément dans le registre du soprano et dans celui de la basse, à une distance de deux octaves — l’air tant de fois cherché, créèrent des halos vifs, qui paraissaient trahir, par leur intensité jamais atteinte encore, l’allégresse que procure une suppression d’angoisse. Surpris d’être