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ment, nous conduisit à la Fonda del Norte, où nous trouvâmes d’excellents lits dans des chambres glacées.

Quelle bonne nuit j’y aurais passée sans les cris des Serenos ! Mais qu’est-ce que les Serenos, me direz-vous ? — Ce sont des gardes nocturnes qui, à chaque heure de la nuit, passent à notre porte en chantant sur un ton bizarre et avec des voix qui percent les murs : « Dieu soit loué ! Deux heures de la nuit sont sonnées. Le ciel est pur, et les étoiles scintillent ! » Je vous épargne les variantes obligées d’heures et de température, ainsi que la traduction en Espagnol. Ce chant peu agréable quand on s’endort, a cependant du caractère et m’a plu.

Au saut de mon lit, je courus à la fenêtre, et j’eus sous les yeux le vrai type de la ville castillane.

Au milieu d’une place étroite et sans décors jaillissait une fontaine, où des femmes puisaient de l’eau avec de grandes cruches de grès qu’elles portaient sur leurs têtes. Des mulets attelés en tandem, parfois au nombre de six et même de neuf, circulaient dans des rues tortueuses, traînant des charrettes étranges encombrées d’objets de toutes sortes. Sous leurs toits en tuiles de brique rouge s’alignaient de vieilles maisons uniformes, bâties en pierres rondes noyées dans un crépit jaunâtre.

Comme décor sur ce fond un peu monotone, des boutiques basses, peintes en couleurs vives, avec des vitrines mal installées, des saillies, des corniches, des balcons, des grilles, des portes enfoncées où de petits ânes, flanqués d’énormes paniers, vous regardent avec curiosité.