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découragent, et pour gagner encore des victoires je ne demande qu’une chose : que Dieu me prête vie et santé. Le cœur plein de reconnaissance, je vous dis adieu, ou plutôt « au revoir ».

Cet « au revoir » fut coupé par un sanglot, et à peine entendu. En réalité, c’était l’adieu éternel. Il ne devait plus revoir son pays. Mais ses amis le revirent lui-même quelques mois plus tard couché dans son tombeau, traîné par six chevaux dans les grandes rues de votre ville au bruit du canon et au son des cloches de toutes les églises, suivi de tout le peuple qu’il avait aimé, et de tous ceux qui l’avaient le plus combattu.

Car toutes les inimitiés s’éteignent devant la mort ; et les ennemis de celui qui meurt sont souvent les premiers à vouloir le diviniser. SIT DIVUS DUM NON SIT VIVUS ! Qu’il soit dieu maintenant qu’il n’est plus vivant.

Les grandes rues de Montréal qui avaient été témoins de ses batailles et de sa dernière défaite, étaient devenues pour lui une voie triomphale. Il rentrait dans sa ville comme les grands généraux de Rome, auxquels le sénat avait décerné l’honneur du triomphe.

L’immense cortège funèbre défila pendant des heures aux accents lugubres des fanfares militaires, et s’arrêta enfin au bord d’une fosse trop étroite pour sa gloire.

On y descendit sa dépouille mortelle au chant des psaumes et des prières ; la terre en tombant sur la tombe rendit un dernier son. Et puis, la foule se dispersa, tous les bruits cessèrent, et le silence de la mort s’étendit sur lui plus lourd que le plomb du cercueil.


IV.


Quarante ans de solitude et d’oubli ont passé sur sa dernière demeure, et voilà que soudainement sa renommée retentit de nouveau comme une fanfare.

Que se passe-t-il donc autour de ce tombeau ? Toute sa génération n’est-elle pas éteinte avec lui ? Et ne dort-elle pas à ses côtés de l’éternel sommeil ? Quelles sont donc ces voix puissantes que tous les échos répètent, et qui acclament son nom, de l’Atlantique au Pacifique ?

Mesdames et Messieurs, ce sont les voix des générations nouvelles, et c’est le réveil mystérieux de la gloire des grands hommes.

Dans les années qui suivent leur mort, elle dort avec eux dans le sépulcre. Leur nom semble s’effacer de la mémoire des humains. L’oubli couvre leurs œuvres les plus méritoires. Mais un jour vient où le souffle de l’immortalité remue soudainement la poussière de leurs tombeaux, et y réveille la gloire endormie.

Ce sont les générations nouvelles qui s’éprennent d’admiration pour les grandes choses qu’ils ont laissées derrière eux.

C’est la postérité dont la conscience éveille tardivement la gratitude, et qui veut payer à leurs cendres augustes la dette de reconnaissance jusqu’ici négligée.

Et voilà ce qui arrive aujourd’hui à notre illustre compatriote. Son étoile qui depuis quarante années avait sombré sous l’horizon vient de reparaître au ciel de son pays, plus grande et plus brillante que jamais ; et pour que les générations futures ne puissent plus l’oublier un superbe monument de granit et de bronze perpétuera sa gloire sur les hauteurs de sa ville bien-aimée.

C’est de là qu’il assistera désormais aux progrès merveilleux de sa race et de sa patrie. C’est de là qu’il enseignera à la jeunesse canadienne que la vie ne lui est pas donnée pour s’enrichir et jouir, mais pour aimer Dieu et la patrie, et pour faire à ce double culte les sacrifices que le désintéressement et le patriotisme imposent.

C’est de là qu’il dira aux hommes politiques : « Soyez des hommes d’action et non des cymbales retentissan-