Page:Routhier - Contestation de l'élection de l'Hon Hector Langevin (jugement), 1876.djvu/3

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

JUGEMENT.



La cause que je suis appelé à décider en ce moment est peut-être la plus importante qui ait jamais été soumise à un tribunal canadien. Elle intéresse nom seulement les pétitionnaires et le défendeur, non seulement les deux grands partis politiques qui se disputent le pouvoir, non seulement les électeurs et le clergé du comté de Charlevoix, mais encore toute la population de cette grande colonie britannique, et spécialement l’Église du Canada.

La question légale s’y complique d’une question religieuse, soulevée pour la première fois dans ce pays, et la décision que je vais rendre aura nécessairement un grand retentissement, et de graves conséquences. Aussi dois-je l’avouer, je me sens profondément impressionné par le sentiment de la terrible responsabilité qui pèse en ce moment sur moi. En face des nombreuses et graves questions qui se dressent devant cette cour, je ne saurais exprimer assez vivement le regret que j’éprouve d’être seul chargé de les résoudre. La loi qui a mis un tel fardeau sur les épaules d’un seul juge a été cruelle pour moi, et j’ajouterais qu’elle a été imprudente, si je prononçais en dernier ressort.

Une telle cause devait inévitablement passionner l’opinion publique, et la presse n’a pas manqué de s’en emparer. Plusieurs journaux l’ont examinée, plaidée et jugée — « sans délibérer » ; comme ils examineront reviseront et renverseront peut-être mon arrêt — toujours « sans délibérer. » Le travail de ces journaux, je dois le dire, a jeté peu de lumière sur la cause, et je me dispense de leur exprimer ma reconnaissance.

Mais je dois remercier les avocats des parties pour ce qu’ils ont fait. Si, d’une part, ils ont par leur habileté embrouillé des questions que je croyais claires, d’autre part ils ont singulièrement facilité ma tâche en me communiquant des notes imprimées de leurs savantes plaidoiries et des témoignages.

L’enquête a duré 35 jours, et nous avons entendu 175 témoins : relire en manuscrit une enquête aussi volumineuse eût exigé beaucoup de temps et de peine.

Sans autre préambule, j’entre dans l’examen de cette cause intéressante. Le 22 janvier 1876 le défendenr a été élu membre de la Chambre des Communes du Canada par le comté de Charlevoix. Les pétitionnaires, électeurs de ce comté, se plaignent de son élection et en demandent l’invalidation, en même temps que la déqualification du défendeur. Les chefs d’accusation qu’ils se sont efforcés de prouver et qui justifieraient leurs conclusions sont au nombre de 17. Trois sont dirigés personnellement contre le défendeur, cinq contre ses agents, et les autres contre le clergé, qu’on accuse d’avoir exercé une « influence indue » sur l’élection.

De cette dernière accusation nait l’immense importance de la cause et c’est à cette partie que je devrai donner le plus de développement. Quant aux autres gi îfs j’en disposerai aussi brièvement qu’il me sera possible