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stella maris

Si vous ne pouviez pas sauver ces malheureux,
Au moins avez-vous dû voir ce drame sublime,
Et sans doute qu’alors vous avez tous pleuré.

Kervilo d’un seul bond s’élança dans l’abîme :
« Jeanne, portez Marie, et je vous porterai, »
Cria-t-il, en offrant l’appui de son épaule
À celle dont les bras tenaient toujours l’enfant ;
Et, d’une main nageant, fendant la vague folle,
De l’autre il soulevait son fardeau triomphant.

Qu’il était beau de voir sur la vague profonde
Ce groupe naufragé luttant contre la mort !
Tout ce qu’il possédait de plus cher en ce monde
Kervilo le portait dans un suprême effort.
Sous ce fardeau trop lourd il surnageait à peine,
Mais l’amour soutenait ses membres fatigués ;
Sa tête ruisselait, et la mer inhumaine
Couvrait de temps en temps les trois infortunés.

Cette lutte d’amour fut longue et palpitante.
Mais enfin Kervilo tomba d’épuisement ;
Il étreignit encor sa femme haletante,
Et résistant toujours enfonça lentement.
Jeanne flottait encor sur la mer en furie,
Mais bientôt elle dut disparaître à son tour.
Puis enfin, l’océan vint engloutir Marie,
Jetant à sa patronne un dernier cri d’amour.